dimanche 22 février 2009

Interview de Sacha Guitry pour le film Bonne Chance

Voulez-vous, monsieur, parler de vos idées sur le cinéma, en général ?

J'ai tourné deux films... Ça ne compte plus... C'est fini.

Vous êtes l'auteur des scénarios, j'imagine, l'acteur et le metteur en scène ?

Je suis l'« auteur » du texte, du découpage, du montage...de tout... J'en excepte la musique.

Comment avez-vous travaillé à tant de problèmes à la fois ?

Eh bien, j'ai cru comprendre, avant de commencer à tourner, qu'il y avait une assez grande part d'aléas dans la confection des films. J'ai voulu éviter cet aléa. J'ai voulu tout prévoir et apporter au studio, en arrivant, un film découpé, non seulement découpé, mais monté.

Un travail insensé ?...

Il n'y a pas de travail insensé. Il y a le travail, toujours passionnant.

Plus ou moins long ?

Je ne sais pas ce que c'est de trouver le travail trop long.

Vous avez écrit ?...

Tous : les jeux de scène, même les raccords, même les gestes qu'on fait à tel ou tel moment.

Vous les avez imaginés d'abord ?

Je les ai vus sur l'écran d'abord. Puis je me suis transformé en spectateur et j'ai apporté le film tout découpé, tout prêt.

Et la mise en scène ?

Je l'ai préparée, naturellement. La mise en scène est un terme qui m'exaspère toujours.
C'est la seule manière que nous ayons de qualifier l'ensemble du jeu des acteurs.

Je ne peux pas comprendre un auteur qui ne met pas sa pièce en scène. Je ne pourrais admettre qu'un autre que moi s'en occupa une seconde.

Le cinéma, pour vous, est-il différent du théâtre ?

Je l'ai trouvé très différent quand le film a été fini. Je continue à attendre une répétition générale qui n'aura jamais lieu. Nous avons répété. Nous avons donné des répétitions mises au point autant que cela pouvait être et alors on nous a dit « C'est fini. ». C'est exactement comme si à la veille d'une répétition générale, on me disait: « On ne passe pas, la pièce ne va pas être jouée ».

Et quand vous avez vu le film ?

J'avais acquis pendant Pasteur une petite expérience. Je sentais, je voyais déjà bien de choses. Evidemment Pasteur est un film absolument à part, si l'on entend par film une manifestation de joliesse. Les discussions sur les microbes, la génération spontanée ne peuvent justifier des manifestations de beauté d'une certaine beauté tandis que Bonne chance...

Film gai ?...

Le mot gai, c'est un désir qu'on exprime. J'ai voulu faire un film gai. Je serais navré qu'on rit à Pasteur et pleurât à Bonne Chance.

Comment vous êtes-vous décidé à venir au cinéma ?

Eh bien! Après avoir dit bien de fois : « Non, non, non » aux demandes qui m'étaient faites, tout à coup, j'ai répondu « oui ».

Pourquoi ?

J'en ai eu envie ce jour-là... Et, dès cette seconde j'ai eu hâte de commencer.

Pensez-vous que certaines de vos œuvres pourraient être réalisées au cinéma ?

Je crois que ce serait actuellement un peu enfantin de définir la destinée du cinéma. Nous n'en savons rien. L'opinion des gens qui décrètent tout d'avance importe peu. Il faut d'abord prouver. Après on peut dire : « Voilà ce que j'ai voulu faire ». En art, la preuve est généralement donnée par un homme qui n'a rien voulu prouvé. On ne fait souvent, du reste, quelque chose d'original que lorsque l'on croit copier quelqu'un.

Pourquoi ?

Je crois à la chaîne qui relie au passé. Il faut avoir des ascendants intellectuels. Se laisser influencer par le passé c'est le seul moyen d'aller en avant.

Interview du 26 juin 1935 réaliser par M. H. Berger, Excelsior.



Excelsior Publications est un groupe de presse familial français fondé par Paul Dupuy en 1913. Le titre emblématique du groupe est le mensuel Science et Vie. En latin, excelsior signifie « toujours plus haut ».

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