jeudi 5 février 2009

Ils étaient neuf célibataires

Le boudoir de la Comtesse. Clémentine (Pauline Carton), la femme de chambre, est là qui range. On entend une première porte qu'on claque, une deuxième, une troisième. A chaque coup Clémentine sursaute.

Clémentine : Hé ben ! On l'entend venir de loin, celle-là.

La porte du boudoir s'ouvre et la Comtesse Stacia (Elvire Popesco) apparaît.

Rien qu’à sa façon de faire claquer les portes, on devine que madame la Comtesse est de bonne humeur.

Stacia : Eh bien, on se trompe ! Je suis dans état de colère indescriptible !

Clémentine : Est-ce que je dois m'y intéresser, Madame la Comtesse ?

Stacia : N'en faites rien, surtout ! Demandez-moi plutôt, Maître Renard mon avoué.

Clémentine : Au téléphone ?

Stacia : Ah, ah ! Bien sur, au téléphone. Est-ce que vous pensez le demander par la radio ?... Déplorable manie de poser des questions.

L'intérieur du restaurant « Au Melon d'Espagne ». Jean (Sacha Guitry) et Louis (Henri Crémieux) mangent des fruits.

Jean : Eh bien, mon vieux, figure-toi que, justement, c'était mon rêve d'être honnête.

Louis : Oh ! Tu m'étonnes.

Jean : Ma parole. Seulement, voilà, l'occasion m'en est manquée. Et tu sais pourquoi ?
Parce qu'on n'en a pour ainsi dire jamais l'occasion.

Louis : On n'a pas l'occasion d'être honnête ?

Jean : Oh bien rarement. Tandis que, vingt fois par jour, tu as l'occasion d'être malhonnête. La preuve en est que ça peut devenir une profession. On dit « voleur de profession ». C'est illégal, c'est entendu, mais ça nourrit son homme ! Tandis que d'être honnête, ce n'est pas un métier...

Louis : C'est une vertu.

Jean : Exactement. Un homme qui serait seulement honnête et qui ne saurait faire autre chose, il mourrait de faim. Être honnête, c'est négatif: c'est ne rien faire de malhonnête. Remarquez bien que je ne dis pas de mal des honnêtes gens...

Louis : C'est encore heureux.

Dans le boudoir de la Comtesse.

Stacia : Eh bien ! Et cet avoué ?

Clémentine : On le sonne, Madame la Comtesse on le sonne !

Stacia : On le sonne ! On le sonne ! Oh… Comme vous êtes exaspérante, ma fille ! Déjà vous voyez que je suis énervée et il faut, en plus, que vous me répondiez sur un ton réprobateur pour avoir le plaisir de me prouver que je suis injuste ! D'ailleurs, je suis parfaitement injuste, en ce moment, c'est vrai. Voilà cent francs pour votre peine.Clémentine : Oh ! Mais, moi, j'aime bien quand Madame est injuste merci, Madame parce que, dès qu'elle est injuste, elle devient équitable !... Allô, Maître Renard ?

Au restaurant « Au Melon d'Espagne ».

Louis : Mais puisque tu me dis que tu aurais voulu être honnête, pourquoi n'essaies-tu pas ?
Jean : Pff !... voila c’est ça, c'est comme les gens qui disent à quelqu’un qui c’est ne rien faire. Travaille, mais mon dieu travailler quand on ne sait rien faire c'est prendre la place d'un autre et l'empêcher de gagner sa vie c'est très vilain ! D'ailleurs, écoute entre nous pourquoi je travaillerais, alors que je m'en tire si bien comme ça depuis vingt ans ! Est-ce que tu rends compte de ce que je dépense ?

Louis : Oh ! Je ne m'inquiète pas de l'argent que tu dépenses. Non, non c'est ta façon de le gagner qui me tourmente plutôt.

Jean : Dis-toi donc ça ! ... Est-ce que j'ai des embêtements graves ?... Jamais. D'ailleurs, entre nous je me vante et, dans le fond, je ne suis pas tellement malhonnête, seulement, j'ai de la chance et j'en ai doublement : parce que j'ai des idées, d'abord et ensuite, parce que les gens sur lesquels je tombe ne sont jamais très scrupuleux si bien que l'aventure prend vite un côté « justice immanente » qui éloigne de moi tous remords éventuels !

Louis : Oui, mais... si tu devais donner un nom à la profession que tu exerces ?

Jean : Et Bien ! Je dirais que je suis intermédiaire, oui, oui j'interviens entre le vendeur et l'acheteur. Je m'interpose entre celui qui est sur le point de verser une grosse somme d'argent et celui qui va la recevoir. Je transmets la somme, tu comprends...

Louis : Oui... et pendant qu'elle passe...

Jean : Voila, je prélève un impôt sur elle. Mon ami dis-toi bien que, sur terre, la moitié des humains cherche l'autre moitié. Pour moi les hommes et les femmes, c'est comme des pommes coupées en deux... chaque moitié court après sa moitié. D'ailleurs, les hommes n'appellent-ils pas leur femme leur moitié ?... Hein, le malheur est que, souvent, ils se trompent de moitié... et alors !

Désignant un couple mal assorti.

...c'est ça, les mauvais ménages ! Quand par bonheur les deux moitiés d’une pomme se rencontrent...Il cherche des yeux et découvre un autre couple, mais d'amoureux celui-là.
....alors tu obtiens cette merveille qu'on appelle l’amour !...

La jeune femme du couple dit des mots d’amour à son compagnon en italien et ils s’embrassent.
Eh bien dit toi bien ceci, c’est que si un homme et une femme, ça fait les deux moitiés d'une pomme, deux hommes, bien souvent, ça fait les deux moitiés d'une poire...

Le boudoir de la Comtesse. Stacia est différemment habillée et elle est sur le point de sortir.
Clémentine : Madame n'oublie pas que Monsieur vient passer la soirée avec elle...

Stacia : Je n'ai pas l'habitude d'oublier ces choses-là. Mêlez-vous donc de vos affaires, je vous prie. Vous avez cependant bien fait de me faire souvenir. Mais qu'est-ce que j'ai à être injuste comme ça ? Vous mettrez sur le livre des comptes : injustice...heu... heu...

Clémentine : Cent francs.

Stacia : Non, cinquante.

Clémentine : En effet, Madame étant une très bonne cliente, je peux lui faire des prix.
Merci, Madame la Comtesse.

Stacia : Et vous direz à Monsieur que je serai rentrée à neuf heures au plus tard.

Clémentine : à neuf heures et demie c’est ça Madame ? Je le ferai patienter. Stacia : Patienter ? Ah ! Ne recommencez pas à me critiquer !

Clémentine : Bien, Madame.

Stacia : Je vous jure qu'avec le caractère que vous avez, je ne suis pas étonnée que vous soyez restée vieille fille !

Clémentine : C'est que je ne suis pas vieille fille, Madame la Comtesse.
Stacia : ?

Clémentine : Non, je suis mariée depuis vingt-sept ans.

Stacia : Seigneur Jésus !... Mais je ne vois jamais votre mari...

Clémentine : Moi non plus, Madame. Il y a onze ans que je ne l’ai plus vu. Il est sorti un soir comme ça pour aller acheter des allumettes et il n'est jamais revenu !

Stacia : Depuis onze ans, grands dieux... et qu'est-ce que vous en pensez ?

Clémentine : Eh ben je pense… je pense qu'il n'a pas dû en trouver, Madame...

La comtesse rie en sortant de son Boudoir

Stacia : Ah ! Ah !
dialogues extrait du film Ils étaient neuf célibataires.

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