vendredi 27 février 2009

Donne moi tes yeux

Au début de ce film je montrais l'intérieur du Palais de Tokyo à la veille d'un vernissage et l'une des trois salles était consacrée à la rétrospective supposée des chefs-d’œuvre de la peinture française réalisée entre 1870 et 1871.

J'avais fait agrandir les photographies d'une vingtaine de tableaux célèbres : le Balcon de Manet, la Vague de Courbet, la Loge de Renoir, une Marine de Monet et, mises à leurs dimensions réelles, l'effet était saisissant.

Quant au texte, il était propre à renforcer encore l'espérance des nôtres et il était de nature à prouver aux Allemands que rien ne peut abattre le Génie de la France.

Voici ce texte.

Je m'adressais à l'un de mes amis et je lui disais : Admire ces splendeurs !... Voilà ce que faisaient des hommes de génie à l'heure où la France venait de perdre la guerre. Et devant ces merveilles, n'a-t-on pas l'impression que ce que l'on perdait d'un côté, on le regagnait de l'autre? Car on a bien le droit de considérer que des œuvres pareilles, cela tient lieu de victoires. Passons maintenant dans la salle voisine. Vois donc : Matisse, Bonnard, Dunoyer de Segonzac, Othon Friez, Maillol, Utrillo, Vlaminck, Despiau, Touchagues, Brianchon la France continue !
Je signale deux incidents qui se produisirent au cours du « tournage » du film.Un jour, ayant rencontré, rue François Ier mon ami Marcel Simon qui portait l'étoile jaune je le priai de m'accompagner jusqu'au Studio.

Nous nous assîmes tous les deux dans le décor et bientôt je donnai l'ordre de commencer à tourner.

Je m'aperçus alors qu'un grand trouble agitait les personnes présentes : ouvriers et techniciens se consultaient à voix basse et l'ordre que j'avais donné ne s'exécutait pas.

Le directeur de la production, informé de la présence d'une « étoile jaune » parmi nous, me fit part des dangers auxquels j'exposais tout le monde tout ce monde, d'ailleurs, qui se refusait à « embrayer », comme il disait, dans de pareilles conditions.

Marcel Simon s'en rendit compte.

Il se leva.

Je prétextai des courses à faire et, remettant à plus tard ce jour-là « l'embrayage », nous allâmes tous deux déambuler dehors.

Je regretterai toujours de n'avoir pas eu la possibilité de courir jusqu'au bout ce risque révoltant.
A quelques jours de là, ceci se produisit.Je jouais, dans mon film, le rôle d'un sculpteur et je devais dire à mon modèle : Je vais d'abord vous faire en terre glaise. Or, on tournait et j'ai préféré dire : Je vais d'abord vous faire en glaise. L'ayant dit, j'insistai : Ça vous plairait, hein, d'être en glaise ? Et, voyant s'arrondir les yeux du producteur, j'ai ajouté : Pourvu que la censure ne me coupe pas ça !Un véritable cri d'épouvante interrompit la scène.
Coupez ! Coupez ! Pris de panique il supplia : Oh ! Ne dites pas ça, Monsieur Guitry, c'est effrayant !A moins qu'il n'ait détruit ce court passage « terrifiant » il doit exister encore, puisqu'il fut enregistré.

Sacha Guitry, Quatre ans d'occupations, Éditions de l'Élan, 1947.

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