lundi 27 avril 2009

Donne-moi tes yeux (Sacha Guitry)

François Bressolles (Sacha Guitry) est dans son cabinet. Il souffre des yeux, sa vue s'affaiblit. La veille, dans un cabaret il a adressé un mot à une chanteuse, Gilda (Mona Goya). La fille lui rend visite.

Gilda : J'ai tort de venir ?

François Bressolles : Du tout. Puisque vous êtes venue, venez...

Gilda : Je ne vous dérange pas ?

François Bressolles : Pas le moins du monde.

Gilda : Oui, mais enfin, vous ne m'attendiez tout de même pas.

François Bressolles : En vérité, je m'attendais à recevoir un coup de téléphone de vous.

Gilda : Eh bien figurez-vous, Monsieur, que cela avait d'abord été mon intention... Oui, car j'avais hâte de vous dire merci pour cette carte, qui m'a fait un plaisir ! Que vous ne soupçonnez pas !

François Bressolles : Tant mieux.

Gilda : Et puisqu'on se dit tout, je vous avouerai franchement que si ma lingère n'habitait pas à cinquante mètres de chez vous, je ne me serais pas permis de venir sonner à votre porte, seulement... ça faisait coïncidence, vous comprenez ?

François Bressolles : Oui, vous avez fait d'une pierre deux coups.

Gilda : Exactement.

François Bressolles : Voilà, comme vous alliez chez votre lingère...

Gilda : Non.

François Bressolles : Non ?

Gilda : Non, c'est plutôt parce que je venais chez vous que je vais en profiter pour aller voir ma lingère en sortant d'ici. C'est amusant, n'est-ce pas, de dire la vérité ? Surtout quand elle n'a rien de blessant. Oui, je préférais vous le dire dans les yeux : c'est adorable, Monsieur, ce que vous m'avez écrit sur cette carte !

François Bressolles : Mon Dieu, c'est bien peu de chose.

Gilda : Peu de chose ! Ah ! Eh bien si vous saviez !

François Bressolles : Si je savais quoi ? Vous m'intriguez.

Gilda : Quelques minutes avant mon tour de chant, hier au soir, savez-vous ce que le patron de la boîte me dit, pour me taquiner ? Il me dit : si tu étais une vraie artiste, tu plairais aux artistes. Ah ! J'encaisse ! Je vais chanter la rage au cœur ! Cinq minutes plus tard je sors de scène et qu'est-ce qu'on me passe ? Votre carte ! Alors je lui fais signe de venir et je lui fous le nez dedans... enfin, vous comprenez ce que je veux dire ?

François Bressolles : Oui, très bien, oui.

Gilda : Eh bien, Monsieur, ça l'a tellement épaté qu'il m'a réengagée pour un mois, illico !
Alors, ne me dites pas que c'est peu de chose, votre carte.

François Bressolles : Je suis ravi d'avoir une telle influence. Et vous savez que ce que je vous ai écrit, je le pense...

Gilda : Oui...

François Bressolles : Vous êtes très bien. Mais moi, je ne suis pas très bien. Je voudrais me trouver plus près de vous...

Gilda : Oui...

François Bressolles : Permettez.

Gilda : Alors, vous êtes vraiment sculpteur ?

François Bressolles : Eh oui, vraiment.

Gilda : Eh bien, c'était si drôle, je me suis demandé si ce n'était pas un prétexte.

François Bressolles : Un prétexte ?

Gilda : Oui, pour que je vienne chez vous...

François met sa main en visière sur ses yeux.

François Bressolles : Oh... Et vous êtes venue ?

Gilda : Vous me le reprochez ?

François Bressolles : Non, mais je m'en étonne.

Gilda : Vous pourriez vous en flatter, car je savais comment vous étiez.

François Bressolles : Oh, vous êtes courageuse.

Gilda : Un homme ne me fait pas peur.

François Bressolles : Comment l'entendez-vous ?

Gilda : D'une façon comme de l'autre : qu'il me plaise ou qu'il me déplaise. S'il me déplaît, je sais me défendre, et s'il me plaît... je sais me donner.

François Bressolles : Alors, avec moi, vous sauriez vous défendre ?

Gilda : Oh, vous allez à la pêche !

François Bressolles : Combien me donnez-vous ?

Gilda : Pour faire l'amour ?

François Bressolles (Ils rient ensemble) : Non, comme âge.

Gilda : Vous avez l'air d'avoir quarante ans... depuis une dizaine d'années.

François met sa main sur ses yeux

Gilda : Je vous ai fait de la peine ?

François Bressolles : Non, mais vous aviez raison : c'était un prétexte.

Gilda : La carte ?

François Bressolles : Oui... mais... pas celui que vous croyez.

Il prend à tâtons derrière lui la photo de Catherine, il la montre brièvement à la jeune femme.

Gilda : Ah, c'était pour agacer quelqu'un ?

François Bressolles : Ah, mieux que ça !

Gilda : Oh non ! Oh non, non, non, non, non ! Je n'aime pas ces histoires-là, moi ! Je n'aime pas que l'on se serve de moi pour faire quelque chose de mal !

François Bressolles : Et qui vous dit que je fais quelque chose de mal ?

Gilda : Parce que vous avez un drôle de regard en ce moment.

Aucun commentaire: